Last updated on 18 août 2020
Voyage dans un monde sans humains…
Il n’y a pas d’autre voiture sur la route dans le petit matin. Il n’y a pas d’avion dans le ciel. Dans un virage, un mouvement: l’animal se retourne vers moi et me regarde longuement avant de s’enfuir d’un bond. Une hermine, souple et curieuse.
Au bout de la route, il n’y a personne et le village paraît désert. J’abandonne la voiture, endosse le sac et prends deux bâtons à la main. Pas un bruit, seul un souffle de vent agite parfois quelques feuilles.
Je descends dans le canyon en suivant le petit sentier caillouteux. Il est envahi par les herbes folles. On dirait que nul pas n’est venu s’y poser depuis des semaines, voire des mois. Déjà, les chemins commencent à s’estomper, c’est davantage un souvenir qui me guide qu’un repère visuel.
Le ruisseau est gonflé d’eau, se rue sur les amas de pierres arrondies dans un vacarme que rien ne vient concurrencer. Pour le traverser, les gués ne servent plus à rien, il faut s’enfoncer, parfois jusqu’à mi-cuisses, et s’aider des bâtons pour éviter de glisser. Passer et repasser d’une rive à l’autre, dans un calme inhabituel. Rien ne bouge, pas d’autres signes de vie que quelques oiseaux dans les airs, de petits poissons dans les eaux, certains insectes qui chantent déjà.
… et sans bruits
Au bas de la longue montée, j’ote les sandales mouillées, enfile un pantalon et chausse les chaussures de montagne. Les premières gouttes viennent s’écraser au sol. Je remonte la capuche de la veste et me mets en route. Arrivée au col, je souffle un instant, profitant d’une courte éclaircie. Puis la pluie se remet à tomber, redoublant d’intensité.
Au dolmen, le ciel est enfin vidé, mais la vue est bouchée. Au fil des heures, le temps vire au beau. Pas âme qui vive, les humains ne sont pas là. Je suis seule sur ce plateau, depuis longtemps déserté par ses habitants. Le premier village en ruines reste silencieux, tout comme le second. Entre les deux, le chemin a disparu, envahi par les orties, les ronces, les murs effondrés.
Je croise une longue couleuvre, puis un troupeau de chèvres sauvages, dont les boucs arborent des cornes d’une longueur incroyable. L’odeur de lait entoure le troupeau qui se retire prudemment à mon approche, mais sans panique. Depuis quand n’ont-ils pas vu le moindre humain? Ils en ont oublié la peur.
Au terme d’une longue journée de marche, lorsque je reprends la voiture, je n’ai rencontré personne de mon espèce.
La sierra de Guara, comme sortie d’un livre d’anticipation climatique
Il y a un an paraissait mon premier livre, Soleil Gris, dans lequel je décrivais ces lieux dans un futur victime du changement climatique. Deux des personnages arpentaient, seuls, ces décors splendides du nord de l’Espagne, que j’imaginais redevenus sauvages. C’est un roman d’anticipation climatique, une fiction improbable. Quoique…
Un an après, je marche dans leurs traces, seule, parmi la nature qui reprend ses droits. Je pense à Leo et à Val, je regarde avec leurs yeux ce monde étrange qui m’entoure. Ils ne sont pas étonnés. Pourquoi le seraient-ils? Ils n’ont jamais rien connu d’autre, après tout. Mais moi, qui fréquente ce secteur depuis plus de deux décades, jamais je n’avais pu écouter cette absence d’humains, ni contempler un ciel vide de moteurs traçant leurs lignes blanches au-dessus de ma tête.
La réalité dépasse la fiction.