1992, premier voyage américain. C’est le temps de la découverte d’une culture et d’un autre monde, d’Est en Ouest, de Détroit à Great Falls.
De Détroit, l’un des berceaux de l’industrialisation
Je découvre alors le Nord des États-Unis l’été de mes dix-huit ans. En fait, je ne les ai pas encore, ces dix-huit ans, ce qui va me limiter considérablement. Voyager en étant mineur entraîne bien des restrictions. C’est un séjour surprise, car j’accompagne un peu en dernière minute mon père dans l’un de ses déplacement professionnel.
Première étape, le Michigan, Détroit et ses environs, les grandes rues vides du centre-ville (downtown) aux heures de bureau, les gratte-ciels qui font de l’ombre au sol. Les immeubles de brique, pour une atmosphère très comics façon Frank Miller. Il fait chaud, nous visitons un peu la ville, la campagne autour de l’hôtel, quelques musées.
À commencer par le musée Henry Ford bien entendu, et le Greenfield Village : c’est parfait pour découvrir l’histoire économique et sociale américaine. Je commence ainsi à m’imprégner de la culture américaire, les difficultés des premiers colons, la frontière toujours repoussée, les indiens, l’industrialisation, les grands espaces.
Un voyage, c’est parfois également tant ce que l’on ne fait pas que ce que l’on fait : impressions en relief faites de bosses mais aussi de creux. Je manque ainsi l’opportunité de poser le pied sur le sol canadien, car les passeports sont restés à l’hôtel. Peu importe, je contemple la rive du Canada depuis les États-Unis, c’est déjà ça. Se sentir un moment à la limite entre deux mondes, l’inconnu à portée de main, c’est ouvrir la porte aux possibles.
Au Montana, en plein mythe du Grand Ouest sauvage et montagneux
Seconde étape, Great Falls, en plein cœur du Montana. C’est la troisième ville de l’État en termes de population, ce qui ne veut pas dire grand chose : c’est la taille de Huesca en Aragon. Par contre, c’est étendu, et je vais y user les semelles de mes chaussures. Littéralement.
Des activités sont organisées pour les participants au séminaire, et j’accompagne donc alors mon père et ses collègues. C’est par exemple un jour une sortie en raft sur le Missouri, alors jeune fleuve impétueux. Répartis entre deux embarcations, les deux parties du groupe vivent des expériences très différentes.
Pour moi, il s’agit d’une agréable promenade dynamique sur une rivière calme parfois agitée de remous. J’ai le temps d’admirer les berges et la végétation luxuriante de l’été, les jeux de lumière sur la surface de l’eau. Très bucolique et paisible. Juste après un rapide que nous avons passé aisément, nous ralentissons pour attendre le second raft.
C’est une surprise un peu comique de voir de loin l’un des collègues sur cette deuxième embarcation passer par dessus bord, rapidement suivi par tous les autres, comme une séquence d’effondrement de dominos. Nous ne comprenons pas bien ce qui se passe, mais gagnons la berge afin de happer au passage les affaires qui flottent, et d’aider nos compagnons à prendre pied sur la rive.
Ce n’est que plus tard, tout le monde réuni, à défaut de sec, que nous apprenons ce que cette partie du groupe a vécu. Déstabilisés au passage du rapide, ils n’ont pu éviter le renversement. Bien sûr, une partie de l’équipement a coulé (appareils photos et autres effets personnels) mais surtout, plusieurs personnes ont craint pour leur vie, retenues sous la surface par des tourbillons provoquant un effet « machine à laver » dont il est parfois impossible de sortir. Certains d’entre nous ont donc vu leur dernier moment arriver, à la limite de la noyade, alors que d’autres flottaient paisiblement.
C’est une leçon que je n’oublierai jamais : même lorsque tout semble idyllique, il vaut mieux rester alerte et un peu sur ses gardes. La nature est sauvage et comporte bien des périls invisibles à qui ne sait pas s’en garder.
Un autre jour, une excursion nous emmène au coeur des Rocheuses faire une randonnée puis déjeûner dans un ranch. Il fait chaud, il fait beau. Paysages grandioses et typiques, repas copieux dans la bâtisse traditionnelle en gros rondins. Les barrières de bois, la vue dégagée, les accents prononcés, la lumière, et surtout ce ciel immense … « Big sky country », l’Etat mérite bien son surnom ! Ici, tout ce qui est humain est relativement récent, mais tout ce qui est nature semble éternel. On se sent minuscule, pertie d’un tout tellement plus vaste.
Charles Russel et ses témoignages d’une époque sauvage
Le reste du temps, j’ai le champ libre pour explorer Great Falls à ma guise. J’en profite pour découvrir les magnifiques peintures de Charlie Russel. Artiste de l’Ouest sauvage, ses aquarelles et peintures à l’huile sont merveilleuses dans leur rendu à la fois des couleurs et des monuments. L’homme semble avoir eu plusieurs vies, cow-boy, chasseur et trappeur, il a également passé plusieurs saisons parmi les indiens, avant de devenir artiste à temps plein. Je ne sais si je dois admirer davantage la vie ou l’oeuvre de Charles Russel, tant elles sont riches.
Malgré la chaleur de ce début d’été, je déambule sans fin dans les parcs sous des arbres majestueux et le long des avenues. J’observe mille détails de la vie quotidienne, de l’architecture, des gens, et tout m’enchante. Je rencontre une jeune indienne au nom très poétique, et elle me raconte son quotidien. Les stratégies pour parvenir à vivre décemment, les emplois cumulés. Son engagement comme pompier volontaire, bien mal payé et très dangereux, mais qui lui permet de bénéficier d’une assurance maladie. Tout n’est pas rose au pays du grand ciel bleu …
Helena, belle capitale du Montana
Les montagnes Rocheuses m’appellent, irrésistiblement, et je tente d’organiser une journée au parc national de Yellowstone, mais en vain, c’est trop loin et finalement trop compliqué. Sans voiture, c’est quasiment impossible et certainement dangereux. Les attaques de visiteurs par les animaux sont assez fréquentes, et il faut rester dans la sécurité d’un véhicule.
Je me résigne et vais plutôt visiter la capitale du Montana, la belle Helena. Le majestueux Capitole, ses immenses fresques murales, tout est à une échelle faite pour impressionner. J’en profite pour approfondir ma connaissance de l’art de Charles Russel. Cependant, le trajet en bus est encore certainement ce qui m’inpressionne le plus. À ce jour, je reste profondément marquée par les montagnes Rocheuses et l’ouest américain n’en finit pas de me faire rêver.
Mais dix jours cela passe vite, et ce voyage n’est qu’un interlude entre les examens du baccalauréat et un cours d’été préparatoire aux concours de Sciences-Po. Il faut donc rentrer, et mon prochain voyage aux Etats-Unis n’aura lieu qu’une fois mes études terminées.
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