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Skara Brae, village perdu d’un autre temps

Posted in archéologie, Ecosse, Musée, Patrimoine, and Voyages

Tout en haut de l’Écosse, par-delà le bout de la terre, sur l’île principale des Orcades, se trouve un site archéologique d’exception : Skara Brae. Plus au nord, il ne reste que les îles Shetland. Il faut parcourir les Highlands jusqu’en haut de la carte afin de parvenir jusque là.
Skara Brae, ce n’est pas la seule raison de ce voyage au Royaume Uni, mais c’est l’objectif principal de cette erratique trajectoire sur le sol britannique. J’en ai rêvé dès la première minute d’organisation (si tant est qu’il ait été organisé) du voyage outre Manche.
Autant gâcher tout de suite le suspense et dire que je n’ai pas été déçue, loin de là. Tous ces kilomètres parcourus, ces heures de ferry, ces petites routes de campagne, trouvent ici leur récompense ultime.

Sous les dunes, des maisons datant de 5 000 ans encore intactes

Skara Brae, c’est le symbole du rêve par excellence. Laissons-nous donc emporter par la violence des éléments, quand la mer se déchaîne à seulement quelques pieds de là, en rouleaux venant se fracasser sur le rivage, rognant sur la fragile ligne de côte, dans un vacarme assourdissant. C’est un environnement impitoyable où les tempêtes de sable du passé ont recouvert un village entier sous des dunes. Cela s’est-il produit en l’espace d’un tsunami, ou le processus a t-il duré quelques années ou siècles ? Difficile d’en être sûr.

Le site était-il encore habité alors, ou les habitants avaient-ils déjà fui la montée des eaux qui avaient grignoté leurs pâturages ? La population a t-elle été décimée par une épidémie ou s’est-elle déplacée pour trouver ailleurs de meilleures conditions de vie ?

Le site, totalement enseveli, n’a été redécouvert qu’en 1850, suite à une tempête magistrale. Fouillé en 1927, puis en 1972, il se dégrade petit à petit, mais livre aussi certains secrets.
Les chercheurs continuent patiemment à amasser des preuves de cette préhistoire dont les détails parfois nous échappent, et à les analyser pour reconstituer le puzzle de nos origines.

Abandonnons un instant le confort de nos vies en ce début de vingt-et-unième siècle, pour plonger dans l’intimité des enfants, des femmes et des hommes qui avant nous ont foulé cette terre à Skara Brae. Tenons-nous au dessus de leurs foyers pour observer ce qui a constitué la base de leur quotidien. L’île d’alors offrait si peu de bois que tout le mobilier des maisons a été réalisé à base de pierre, et le sable l’ayant recouvert, ce sont des lieux de vie intacts qui se dévoilent aujourd’hui encore à notre regard.

Un incroyable mobilier de pierre

Entre les maisons, des ruelles pavées et couvertes serpentent et permettent d’aller rendre visite aux voisins sans avoir à souffrir de la pluie, du vent ni de la neige.

En pénétrant dans une habitation, on se trouve directement face au feu central.
Sur la gauche et sur la droite sont disposés deux lits, protégés des courants d’air par des dalles verticales d’environ un mètre de haut, qui pouvaient également servir de parc pour les enfants les plus petits. Ils étaient sans doute garnis de foin, de peaux et de fourrures pour plus de confort, et entourés de tentures tels des lits à baldaquin.
Nous savons par ailleurs que des pigments de couleur étaient utilisés, aussi il faut imaginer des intérieurs bien plus colorés que ne le montre le gris des pierres sur les photographies.

Dans les murs, des niches servent de rangement, mais les biens les plus importants ou prestigieux ou utiles devaient être déposés au fond de la pièce unique, bien à l’abri derrière le foyer, sur une étagère profonde (à moins que ce ne soit une sorte d’armoire dont la porte aurait disparu).
Certaines maisons possèdent également une réserve, voire des pièces secondaires, accessibles depuis ce mur du fond ou depuis le mur d’entrée et sans doute dissimulées ou invisibles depuis le seuil.
Il est d’ailleurs possible, au vu de la configuration d’une petite pièce annexe connectée à un réseau d’égouts passant sous les maisons, qu’il s’agisse de toilettes intérieures avec évacuation. Quelle modernité pour des installations datant de 2 500 ans avant notre ère !

Toujours près de ce mur du fond, un bassin étanche légèrement creusé dans le sol permet de conserver dans l’eau les poissons et fruits de mer qui seront consommés le plus frais possible, ou de faire tremper des plantes ou des aliments avant une transformation.
Un bloc de pierre creusé en forme de récipient arrondi a pu servir à moudre du grain, bien au sec, à écraser des pigments de peinture ou à conserver à portée de main une réserve d’eau douce.

Avant les Grecs, les Romains, les Vikings … tout simplement humains

Des gens vivaient ici il y a quatre mille neuf cents à quatre mille cinq cents ans. Ils pratiquaient l’élevage de vaches, moutons et cochons, chassaient et pêchaient, collectaient et transformaient de multiples ressources naturelles, taillaient la pierre et faisaient des bijoux et autres objets que nous ne comprenons pas.

Impossible de ne pas laisser l’esprit divaguer, de ne pas penser à ces humains si semblables à nous. Leur quotidien était-il davantage affamé ? Peut-être, mais on pense pourtant qu’ils étaient bien nourris. Passaient-ils de longs moments à chanter et à rire, à jouer de la musique ? Et pourquoi pas ?


Il ne reste du village que huit maisons et un atelier. D’autres ont sans doute été engloutis par la mer. C’est donc une toute petite communauté, de 70 personnes environ.
Jusqu’où allaient-ils chercher leurs partenaires afin de limiter l’apauvrissement génétique ? Un lieu de vie ayant perduré trois ou quatre siècles implique soit cette recherche de sang neuf soit le renouvellement total de la population par des vagues migratoires, mais cette dernière hypothèse ne tient pas, face à l’homogénéité de la culture matérielle présente sur le site, au fil des âges et des couches successives d’habitat qui ont pu être étudiées.

Naviguaient-ils vers la côte ou laissaient-ils à d’autres le soin de venir à leur rencontre* ? Quelle langue parlaient-ils ? Etaient-ils grands** et minces, ou gros de cette graisse qui protège du froid ? Quelle était la couleur de leur peau, de leurs yeux, de leurs cheveux ? Vivaient-ils longtemps ? Etaient-ils davantage menacés par les accidents, les maladies ou la faim*** ? Leur art ressemblait-il au nôtre ?
Tellement de questions se bousculent, et si peu ont trouvé réponse. L’esprit voltige dans un tourbillon d’idées, enchanté et légèrement ennivré par tant de possibilités.

Au-delà de la science, la part du rêve

Rêvons encore sous les noirs nuages qui roulent dans le ciel, dans un fugitif rayon de soleil qui vient raviver les couleurs, du vert profond de l’herbe au bleu des flôts.
Rêvons de ces gens que nous ne connaîtrons jamais, de nous asseoir un instant à leurs côtés, le regard tourné vers la mer, ou d’aller nous réchauffer un moment à leur feu, dans l’obscurité protectrice de leur demeure. Imaginons de quoi nous pourrions bien parler, ce qui nous rapprocherait d’eux …

Skara Brae, c’est un endroit spécial où la magie des pierres crée un passage entre des êtres éloignés par cinq mille ans. Ou du moins, c’est ainsi que je le rêve.

Pour suivre ce voyage sur la carte, cliquez sur voyage été 2023, section 8, point C.

  • Notes :
    * Des similitudes avec des cultures présentes en Irlande ont été observées (motifs géométriques en losanges et spirales).
    ** Les analyses de squelettes découverts sur place ou sur des sites similiaires indiquent des tailles semblables aux nôtres.
    *** Le site n’a présenté aucune preuve d’un manque de nourriture chez les restes humains étudiés.

© Gwen Caillet 2023 – Tous droits réservés.

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