Un peu de fraîcheur dans les montagnes enchantées
Quand la chaleur s’abat sur les basses terres, il est toujours possible de se réfugier sur les hauteurs, aux franges du parc national Aigüestortes y Estany de San Maurici, au coeur des Pyrénées. De superbes randonnées y ouvrent l’accès aux lacs d’altitude.
En montant hier au refuge orange de Mataro, dans le lac de Gerber, un arbre mort à moitié englouti m’a fait penser à un cheval sortant la tête de l’eau. Les arbres ont souvent ici de jolies formes tourmentées par le vent, et prennent parfois l’allure de sculptures merveilleuses.
Ceci dit, quand notre imagination nous joue ainsi des tours, elle ne va pas nécessairement chercher bien loin. Au col de Bonaigua, les troupeaux de vaches et de chevaux sont laissés en liberté tout l’été, profitant des pâturages d’altitude. Les animaux adultes sont à demi sauvages, les jeunes le sont totalement. On les admire de loin, en écoutant les cloches des vaches; et les enfants rient en écoutant mugir ou hennir les stars de leur journée. Bien entendu, Zeus est terrifié par tous ces monstres, certainement sanguinaires.
Le lendemain d’une belle randonnée de 5 heures de marche, pas besoin de trop forcer : il faut laisser les muscles récupérér de tant de montées, et pire, de descentes. Une petite sortie tranquille suffira donc, histoire d’admirer les vallées alentours et de se dégourdir les jambes. Suivre une piste qui longe d’en haut la vallée, si loin en contrebas, monter en lacets, bifurquer pour aller découvrir une cabane de berger. Perdue dans un vallon, à l’abri des bruits et des regards, c’est un endroit tranquille et reposant. Pour profiter du soleil, je m’assieds sur une longue dalle plate.
Superbe harde de chevaux dans un vallon perdu
Mais d’autres ont eu la même idée, et c’est bientôt toute une harde de chevaux qui surgit en file indienne et vient brouter l’herbe non loin de moi. Le troupeau est mené par un étalon, et un autre étalon ferme la marche. Entre eux, des juments et leurs petits, des jeunes, aux robes allant du noir au sable en passant par divers tons de marron. L’étalon dominant est d’un marron presque noir, avec des reflets de feu derrière les oreilles. Comme les autres, c’est une bête massive, solide, aux épaisses pattes faites pour les terrains rocailleux. Sitôt son troupeau arrivé, il entreprend de rassembler tout son monde et de les rabattre vers un point d’eau un peu en contrebas. Il commence par baisser la tête et allonger son cou, puis il charge l’autre étalon, celui de tête, pour réaffirmer son autorité. Ensuite il contourne les animaux les plus éloignés, toujours dans cette même attitude menaçante. Personne ne lui tient tête, et la plupart obéit en courant. Je les comprend, on n’a vraiment pas envie d’essayer de lui résister.
Arrivés au point d’eau, tous prennent le temps de boire longuement, et certains s’enfoncent dans l’eau jusqu’au poitrail. Deux des juments piétinent le fond de l’étang, d’une patte avant, créant un tourbillon d’eau marron autour d’elles. Peu à peu, le troupeau remonte sur les berges, toujours étroitement contrôlé par l’étalon. Je continue à observer depuis mon rocher, sans bouger. Au bout d’un moment, je reprends ma route, le chemin étant désormais libre, et je m’éloigne un peu à regret de cette harde semi-sauvage. Ce n’est pas si fréquent de pouvoir observer le comportement de chevaux libres dans la nature.
Le petit poulain perdu
Les nuages envahissent le ciel, et au détour de la piste, un vent frais se fait sentir. Je suis finalement presque de retour aux installations de la station de sport d’hiver quand une silhouette dressée contre le ciel me surprend. Je dévie mes pas et trouve un tout jeune poulain devant moi, qui semble perdu et paniqué. Il tente de hennir mais son cri ne porte pas bien loin. Tout de suite, je suspecte qu’il a été séparé de sa mère, et que certainement son troupeau est celui que j’ai longuement observé. Sa détresse évidente me touche. Le reste de la harde est à plus d’un demi-kilomètre, dans un repli de la montagne. Il ne pourra ni les entendre, ni les voir pour savoir comment les retrouver. Et le fier et ombrageux étalon ne laissera aucune jument se séparer de sa harde, pas même pour partir à la recherche d’un jeune égaré.
Un long sauvetage hasardeux
Impossible de le laisser comme ça. Je le contourne, d’un côté, puis de l’autre, pour le mettre dans la bonne direction. Sa patte arrière droite porte une blessure non cicatrisée. Il n’a pas dû réussir à suivre le rythme des adultes. Il veut hennir mais la plupart du temps n’arrive même pas à produire le moindre son. Je décide de le raccompagner, s’il me laisse faire. Il est tellement petit et perdu que sa méfiance est vite vaincue. Je lui fais sentir mes mains, chasse les mouches qui l’ennuient, lui flatte l’encolure, et l’encourage de la voix. Il est adorable, avec sa robe sable, ses grands yeux marrons, sa crinière et sa queue noires, encore bouclée.
De temps à autre, il se détourne du chemin que je lui fais suivre pour grimper sur une éminence, cherchant du regard son troupeau perdu, appelant sa mère de sa petite voix frêle qui ne porte pas loin. Le vent est face à nous, et les siens ne pourront pas l’entendre. Je le ramène chaque fois tant bien que mal sur le chemin, dans une version plus douce et patiente de la stratégie de l’étalon. Parfois il s’arrête, et son ventre semble agité de spasmes, effet du stress, de la faim ou de la fatigue, je ne sais pas. Je le laisse alors récupérer un peu, l’encourage de la voix ou du toucher, puis il repart. Nous trouvons un ruisseau, dans lequel il boit goulument. Il avait bien soif. Il hennit de nouveau. Nous repartons. Je m’efforce toujours de l’empêcher de changer de direction, car j’espère que le troupeau ne s’est pas trop éloigné de là où je les ai vus en partant. Le dernier virage approche. Le petit semble épuisé. Pourvu que la harde soit visible depuis la courbe : ça lui redonnerait l’énergie de continuer…
Le retour au sein du troupeau
Il s’arrête de nouveau. Hennit faiblement. Tend l’oreille. Un hennissement éloigné nous parvient. Il appelle de nouveau. Je l’encourage, il repart. Dans le virage, juste devant nous, la silhouette sombre d’un cheval approche finalement. C’est l’étalon, venu enquêter sur le petit henissement. Il est accompagné de l’autre étalon. Quand il m’aperçoit auprès du poulain, il charge. J’ai à peine eu le temps de le reconnaitre que je sais déjà qu’il va se méprendre, aussi je ne cherche pas un seul instant à m’expliquer, et grimpe en courant à flanc de montagne, m’éloignant du petit et me réfugiant dans les branches d’un arbre. Par chance, ma statégie fonctionne : la menace que je suis s’est éloignée, aussi les deux étalons entament un mouvement de contournement du poulain, pour le pousser vers le reste du troupeau. Le petit y trouve le regain d’énergie (ou la frayeur) nécessaire et part en courant vers l’étang, poursuivi par les deux mâles dominants. Là, il prend le temps de se désaltérer, puis remonte péniblement vers les autres. S’arrête pour hennir. Des têtes se tournent vers lui.
Je continue à les observer depuis le refuge de mon arbre, autant pour me remettre de ma petite frayeur que pour connaître la suite des évènements, curieuse. Finalement, je vois le joli petit poulain fatigué continuer à monter la pente jusqu’à une jument. Il lui tend son museau, puis va têter. Le reste du troupeau continue à se nourrir tranquillement. Au bout d’un moment, rassurée et émerveillée, j’abandonne mon abri et reprend la piste.
Aujourd’hui, j’ai vécu un moment incroyable.Sur mes rétines s’est imprimée l’image de ce poulain, des juments et des étalons, du reste de la harde. Si demain je crois reconnaitre leur silhouette dans un tronc d’arbre modelé par le vent, je ne m’étonnerai pas …
© Gwen Caillet 2024 – Tous droits réservés.
Salut Gwen,
Quelle merveilleuse expérience….et si bien contée !
Il est si bon de constater qu’en se respectant chaque espèce peut s’entraider.
Depuis tant de siècles que les équidés nous émerveillent et acceptent de nous faire découvrir de nouvelles contrées mais aussi de nous aider à cultiver ou encore de nous apaiser voire nous soigner… c’est magnifique de pouvoir en toute humilité sauver un des leurs.Ton instinct est un beau cadeau à la nature. Merci.
Estelle
Merci Estelle pour ton commentaire 🙂
J’ai été si chanceuse d’être au bon endroit au bon moment pour pouvoir aider ce petit…
Gwen
C’est une belle histoire.
Bises
Patrice