Les yeux encore pleins de sommeil, une tasse de thé à la main, ouvrir la porte et découvrir un monde cotonneux. Le soleil ne perce pas encore, mais déjà le cercle de pierres semble émerger de la brume, loin derrière l’herbe rase couverte de givre. Peu à peu les gris et blancs laissent place à des tons dorés et orangés, la couleur reprend sa place et le vert des prés s’installe sous le bleu d’une belle journée. Bientôt les premiers visiteurs viendront envahir le site, et la magie de ces instants de légende vont se dissiper de manière aussi insaisissable que le brouillard matinal.
Commencer sa journée ainsi, c’est une expérience unique, rendue possible par le cha(t)mion. Bizarrement, dans ce sud de l’Angleterre rarement accueillant pour les fourgons aménagés et autres camping-cars, il est possible de se garer juste en bordure de cet emblématique monument qu’est Stonehenge. La route principale a été déplacée un peu plus loin, et le chemin de terre menant à l’ancienne route est un joyeux campement de sédentaires ou voyageurs à roulettes. Et le matin y est d’une tranquillité parfaite. Immobile et absolu.
La veille, toujours sur le retour de mon périple écossais, j’ai été accueillie à bras ouverts par les voisin(e)s d’étape, invitée à m’asseoir autour d’un feu de camp, à aller écouter les musiciens, à imaginer d’autres temps, d’autres rencontres. C’est presque l’équinoxe d’automne, une date de festivités hors du commun, et d’ouverture inhabituelle de l’espace plurimillénaire. Je ne pourrai pas rester, mais quasiment un an après, je rêve encore de Stonehenge et de son atmosphère si particulière.
La nuit à peine tombée, un choc sourd a secoué le cha(t)mion. Surprise, je suis sortie pour comprendre. Un pick-up s’éloignait dans la pénombre. J’ai questionné les personnes les plus proches pour découvrir ce qui s’était passé. Un fauconnier avait emprunté le chemin, son oiseau de proie perché sur la rambarde à l’arrière du véhicule. Arrivé à hauteur du cha(t)mion, l’oiseau a pris son envol et est venu se poser sur la galerie du ducato, provoquant le choc sourd qui m’a alertée. Puis les ailes se sont redéployées, le véhicule a redémarré, et les chuchotements ont repris autour du feu. De retour dans mon lit, j’imaginais l’oiseau planant dans la nuit, ses yeux percevant bien des choses que je ne verrai jamais, tout un monde invisible et quasiment insoupçonné.
C’est exactement ce que je ressentais plus tard dans la matinée en déambulant autour des dalles majestueuses disposées en cercles. Merveilleux Stonehenge, dont je n’avais pas gardé le souvenir d’une précédente visite dans mon enfance. La route passait encore alors juste au bord du site…
Le musée est intéressant, comme je les aime : posant davantage de questions que ne donnant de réponses, expliquant bien que nos connaissances sont évolutives et très fragmentaires. J’en ressors des impressions plein la tête, le cœur gonflé d’admiration, et sans doute d’affection pour ces humains d’avant qui sont venus en ces mêmes lieux observer, bâtir, certainement rire et pleurer, partager ou chanter. Nous ne savons que peu de choses sur eux, mais comme nous ils étaient humains, comme nous ils s’émerveillaient des couleurs chaudes qui succèdent à la nuit et émergent des brumes. Comme moi ils avaient des questions sans réponse, comme moi ils aimaient voyager.
Stonehenge est un portail magique, un espace privilégié pour penser un moment à ces voyageurs d’antan, pour contempler ce qui fait de nous tous des humains, ni plus, ni moins.
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