Toute petite, découvrant la vie et le monde, j’ai décidé une fois pour toutes que la nature et les animaux sont plus dignes de confiance que les êtres humains. J’étais probablement une enfant un peu sauvage, mais il faut reconnaitre cependant qu’un animal ne fait jamais semblant, dans ses rapports aux autres. Je recherchais cette sincérité, cette vérité. J’aimais déjà passionnément les animaux, tous les animaux ou presque (pas les coqs, mais c’est une sombre histoire de circonstances et de coups de becs) et la nature, surtout les arbres. Ma peluche préférée était un chat loup, et mes amis imaginaires étaient des dragons plutôt que les enfants des histoires.
Logiquement, j’ai donc toujours voulu avoir auprès de moi un animal. Bizarrement, mes parents ont catégoriquement refusé que j’adopte un fennec ou un orvet. Finalement, de retour en France, l’année de mes six ans, notre famille a adopté un chiot, mais nous ne l’avons gardé que quelques courtes années, le laissant aux grands-parents au moment de partir pour une nouvelle expatriation. Ensuite, nous n’avons, ma sœur et moi, obtenu à résidence que des hamsters ou des tortues. Parfait pour apprendre le sens des responsabilités, moins satisfaisant sur le plan affectif ou de l’échange.
Heureusement, la maison des grands parents et des cousins était toujours pleine de chiens, de chats, de lapins, sans compter la volière et la basse-cour. Par chance, la ferme du voisin en Bretagne nous donnait accès aux vaches et à leurs veaux. Parfois nos explorations nous permettaient de découvrir un furet attendant l’heure de la chasse, un chien s’ennuyant que nous pouvions aller promener, un oiseau tombé du nid ou un hérisson venu récupérer les restes au tomber de la nuit. Mais ce n’étaient que des compagnies temporaires, trop provisoires pour combler le vide.
L’initiation canine
Ainsi, lorsque, encore étudiante, mon conjoint d’alors m’a proposé de prendre un chien, l’idée a rapidement fait son chemin, et dès l’été suivant, nous avons adopté un jeune akita inu. Huxley, en hommage à l’écrivain Aldous, puisque c’était l’année des H, est entré dans nos vies.
Enfin, j’avais la chance de pouvoir réaliser mon vieux rêve, de contribuer à l’éducation d’un chien, et surtout de partager son quotidien. D’apprendre à respecter son caractère aussi. Par exemple, j’ai rapidement dû abandonner mes illusions quant aux joggings partagés, ou aux longues promenades en bicyclette. Tout simplement, Huxley considérait ces activités comme stupides et indignes de son intérêt, et j’ai fini par accepter cet état de fait. Il avait bon caractère, hormis avec ses congénères mâles, et témoignait de l’intelligence de ceux de sa race. Des classes hebdomadaires d’agility ont permis de développer sa capacité à vivre dans la société humaine.

Cet akita n’est pas Huxley, mais lui ressemble, comme un frère.
Comment un chien a changé mon comportement
De façon totalement inattendue, d’avoir un chien à mes côtés, surtout un animal aussi imposant (il pesait plus de la moitié de mon propre poids), a totalement fait disparaître mes peurs irrationnelles, vestige de l’enfance. Je suis devenue plus courageuse, surtout la nuit. J’ai appris à aimer les orages, les promenades nocturnes. Le risque d’agression, dans cette grande ville, devenait minime, car il aurait fallu être totalement inconscient pour provoquer un animal traditionnellement utilisé pour la chasse à l’ours. J’ai toujours pensé qu’il m’aurait protégée, bien que la situation ne se soit jamais présentée. Pour le moins, il m’a protégée de moi-même, et à ce jour j’ai toujours bénéficié de la confiance en moi qu’il a su restaurer ou développer.
Puis le chien a suivi son maître quand le couple a explosé, quelques années plus tard. Les humains ne sont pas si fiables que les animaux, j’en avais une nouvelle fois la preuve. Je l’ai revu parfois, puis j’ai cessé car Huxley déprimait suite à mes visites. Je lui manquais autant qu’il me manquait. Comment lui expliquer l’absurdité des décisions humaines ?
Je n’ai ensuite plus jamais adopté de chien, notamment pour pouvoir voyager facilement.
Les chats, c’est une autre histoire, comme le montre l’aventure du cha(t)mion.
Répondre à l’appel du loup
De fait, du chien je suis passée au loup. Un peu par hasard. Ou peut-être pas. Faut-il croire au hasard ? Quoi qu’il en soit, après mes études j’ai participé, chaque été, à des chantiers de bénévolat international, toujours orientés vers la protection de l’environnement, et la montagne. Après un chantier dans les Pyrénées catalanes, et un autre dans les Alpes italiennes, je me suis envolée vers les Rocheuses américaines, à la découverte des loups.
L’association Mission:Wolf accueillait en ce début d’été une dizaine de bénévoles du monde entier, pour que nos jeunes muscles contribuent à entretenir ou développer les infrastructures du refuge et que nos jeunes cerveaux apprennent à connaître les loups. Cinquante d’entre eux, loup et hybrides, rescapés de zoos ayant fait faillite, utilisés puis rejetés par l’industrie du cinéma, adoptés comme animaux de compagnie puis abandonnés quand la petite peluche a grandi. Accidents de stérilisation loupée. Aucun ne pouvait « retourner » dans un monde sauvage qui ne l’avait pas vu grandir. Le refuge est un sanctuaire, accueillant ces bêtes magnifiques prises au piège entre deux mondes, n’appartenant plus à aucun.
De petites meutes dans de grands enclos loin des hommes. Protégés à défaut d’être libres. Certains d’entre eux, un peu plus sociables, utilisés comme ambassadeurs entre les deux espèces. Œuvrant pour une meilleure compréhension, dans l’espoir d’une possible cohabitation dans l’avenir.

J’ai vibré au son de leurs hurlements, surtout à l’aube et au crépuscule. Découvert la diversité de leurs caractères. J’ai écouté le récit de leurs histoires, souvent tragiques, ri de leurs farces et de leurs jeux. Avec les autres bénévoles, j’ai préparé et lancé leurs repas par-dessus les clôtures, moi qui n’aime guère la viande. J’ai exploré les montagnes alentours, rencontré un coyote, croisé sans le voir un puma au cœur de la nuit. J’ai lutté contre le feu et sympathisé avec des cow-boys. Aventures au Colorado.
Mon ami le loup
On m’a offert de prolonger l’expérience par un nouveau séjour. Je suis revenue à l’automne de la même année. Le calme régnait désormais au refuge, le groupe de bénévoles permanent réduit au minimum, les groupes de visiteurs moins fréquents. La nature se préparait pour l’hiver. Les jours raccourcissaient. Les bois de trembles changeaient de couleur avant de perdre leur feuilles.
J’avais un ami, un grand loup gris nommé Guinness. Tous les matins, il courait joyeusement à ma rencontre. Jamais je n’ai pénétré dans son enclos, mais il se roulait sur le sol juste de l’autre côté du grillage, je passais mon bras à travers et lui grattais le ventre, les oreilles, le cou et les flancs. Puis chacun de nous repartait de son côté, lui, surveiller son territoire et jouer avec sa compagne Passion, moi effectuer certaines tâches administratives pour l’association.
J’avais une ennemie aussi, la splendide Yellowstone Peaches. Nous avions été amies, lors de mon premier séjour, mais j’avais été victime d’un malentendu. Mon retour avait globalement coïncidé avec le départ en voyage des fondateurs du refuge, Tracy et Kent, et la louve avait cru que j’en étais la cause. Elle ne me le pardonnait pas, souffrant probablement de l’absence de ses amis, et me le faisait savoir sitôt que j’apparaissais à sa vue. Je ne pouvais pas lui en vouloir, mais regrettais notre entente perdue. Je pouvais heureusement encore écouter sa jolie voix, qui souvent lançait le concert de hurlements.
L’écho de ce chant me parvient encore, et résonne dans ma mémoire. On n’oublie jamais le chant des loups, après l’avoir entendu. C’est un appel, et je continue de vouloir y répondre.

© Gwen Caillet 2025 – Tous droits réservés.